Chroniques

Dans ces chroniques trouveront place en vrac des coups de cœur, des impressions, des choses qui m'ont interpelé au hasard de mes découvertes...

Carmen de la Jara :    album "Gardel & Piazzolla inmortales"
Partitions :                  "L'avant-dernier tango" suivi par "Le dernier tango"
María Volonté :           album "Portrait"


 



Partitions

"L'avant-dernier Tango"  ou  "Le tango dinguo"

               suivi par   "Le dernier Tango"

Voici une bien curieuse partition !
Elle est publiée en 1913 par l'éditeur Emile Guéprotte (réf E.1214.G).
Je l'ai trouvée chez un vendeur de disques en seconde main à Bruxelles.
L'illustration de Léon Pousthomis montre deux couples d'hommes dansant le tango...
Ils ont pour nom Chevalier et Tramel, Rollin et Fortugé.
Tout le monde connaît Maurice Chevalier. Âgé de 25 ans
en 1913, il est à ses débuts de chanteur comique dans les cafés-concerts. Il n'est pas encore coiffé de son légendaire canotier !
Les autres sont eux aussi des chanteurs comiques ou comiques troupiers, ainsi qu'en témoigne l'uniforme de Rollin.
À remarquer aussi le contraste blanc et noir des costumes des danseurs.
Ce dessin illustre
de façon caricaturale ce qui semblait faire scandale en ces temps-là : des hommes dansant ensemble sur les trottoirs de Buenos Aires, devant les maisons closes.

Ce que montre par exemple cette photo bien connue, publiée probablement en 1903 dans la revue hebdomadaire humoristique "Caras y Caretas". Ici aussi apparaît le contraste des costumes : noirs pour ceux qui guident et clairs pour leurs partenaires...
A cette époque,
le Tout Paris est en pleine tangomania ! N'oublions pas que tango commençait à être connu en France dès 1907 (cf. le chapitre Guardia vieja).
Qui plus est, le 25 octobre 1913 le poète Jean Richepin prononce lors de la séance annuelle publique des cinq Académies un discours intitulé "À propos du tango". Il fait entre autres analyses, remonter le tango à l'antiquité grecque sinon égyptienne et poursuit avec une digression sur une mathématique du tango...
Autant dire que cela fait grand bruit !
La presse s'en empare. Des caricatures surgissent, expression très courante de l'époque.
En outre, les correspondants argentins à Paris s'en trouvent choqués : cette danse n'est pas le reflet de la culture argentine !
Il faut dire que là-bas le tango est encore inconvenant aux yeux de la classe aisée porteña.
Plus pour longtemps...

Il est difficile de savoir si cette partition fut éditée fin 1913 et puisse donc être une autre réponse à ce discours. La caricature est en tout cas bien là !
Quant aux paroles, c'est l'histoire habituelle et banale d'une rencontre entre un client et une entraîneuse de bar...

J'ai trouvé en même temps quel hasard ! une autre partition publiée, elle aussi, en 1913 par l'éditeur H. Delormel : "Le dernier Tango". Tiens, tiens, ça me dit quelque chose !
Ce tango fait partie
du répertoire de Georgel, célèbre chanteur de l'époque (Sous les ponts de Paris). Les paroles sont de Foucher sur la musique de Doloire.
Il raconte l'histoire de Rita, la Parisienne, de qui tombe amoureux un étranger. Celui-ci dépense
sa fortune pour elle. L'amant, devenu pauvre, la convainc de danser un dernier tango et l'étrangle... Pobre milonguita !
 

Pour plus d'informations à propos du tango à cette époque, lire le livre de Nardo Zalko "Paris – Buenos Aires, un siècle de tango", 2004,  Éditions du Félin.
Voir aussi le site Marseille Tango sur le sujet des hommes dansant entre eux.

À propos des comiques troupiers, de Georgel et de Maurice Chevalier, le site "Du temps des cerises aux feuilles mortes" propose des biographies détaillées parmi beaucoup d'autres choses.
 

"L'avant dernier tango"
Musique de A. Vialsen et L. Halet, paroles de H. Poupon

1.
Sous le ciel argentin
D'Montmartre un sacré matin,
J'fis l'béguin subito,
Dans un joyeux thé tango,
D'un'danseus' qui ma foi,
M'dit dans un sincère émoi,
J'suis un' fleur sans prestige
Et mon amour tue ma tige.
C'est bon,
Que j'dis au tendron,
Tout d'go
Viens tanguer l'tango.


Refrain.
C'est l'tango, c'est l'tangui, tangua, tango,
L'tango des dinguos.
Viens l'tangui, viens l'tango, tangua, tanguer,
Comme au Paraguay.
Ça n'tangua, ça n'tangui, t'engage à rien
Et ça fait du bien
Ou j'tango, je tangui, tangua, t'engueul'
Et j'te cass' la gueul'
Oh! viens,
Coll' ton bide au mien,
Mets le mien su'l'tien,
Ça ira très bien.


2.
Viens chez moi mon Jeusus
Qu'a m'dit, nous en dirons d'plus,
Vrai, si tu refusais
Mon p'tit ça s'rait lâche et laid,
J'répondis : Mon amour,
Accepte un'thune ou cours.
Ben ça va, qu'ell'me dit,
C'est pas loin j'habite ici,
C'est bon,
Que j'dis au tendron
Tout d'go
Viens tanguer l'tango.

3.
Puis a m'dit dans le pieu :
Quitte tes effets moelleux
Ta p'tit femm', c'est certain,
Tu ne la chang'pas demain,
Quand un homme est chez moi
Y n's'en va plus mais il doit
J'ai bien peur d't'aimer trop,
A quelle heur'prends-tu l'métro
Pardon,
Que j'dis au tendron
Tout d'go
Retanguons l'tango.

 

4 mars 2012  
              

 



Carmen de la Jara

" Gardel & Piazzolla inmortal "

Voz Music Gramophone, 2004   CD-VMG-003 

Dans l'espace ''fusion'', un album tango-flamenco...
Carmen de la Jara est une chanteuse de flamenco renommée en Espagne, une cantaora de la région de Cadix où elle naquit en 1955. Figure emblématique de l'arte flamenco, elle a reçu de nombreux prix et a déjà gravé plusieurs disques, seule ou en compagnie d'autres artistes. 

Comme l'indique le titre, cet album* reprend pour une large part des tangos classiques que, entre autres, Carlos Gardel a chantés. Hormis "Uno", créé en 1943 : Gardel, mort en 1935, n'a pu évidemment le connaître ! A cela s'ajoutent de Piazzolla quatre compositions instrumentales et une chantée, "Libertango" – paroles de Horacio Ferrer.

Carmen de la Jara éclaire d'un jour particulier ces tangos par l'intonation et la modulation de sa voix. Elle met en valeur en un subtil mélange la nostalgie des paroles – celles de "Uno" ou de "Caminito" – et la force du cante flamenco – "A media luz" ou "Madreselva".
Les arrangements du Quinteto Generación Tango sont ceux du tango, non pas traditionnel mais contemporain, dans la continuation de l'esprit piazzollien. Des accents flamencos d'une guitare espagnole percent ça et là, comme dans "La Cumparsita" ou "Libertango".

Un agréable moment à passer avec cet album, plus à écouter qu'à danser !

18 novembre 2014  

 



María Volonté

" Portrait "

Network, 2010   495133

Voici un disque qui m'a fait découvrir une chanteuse connue en Argentine depuis les années 90.
Il a fallu attendre 2010 pour que Network Medien nous la fasse connaître en Europe en éditant cette compilation. Seize morceaux choisis parmi les sept albums que María Volonté a déjà à son actif.

Non, ce n'est pas une chanteuse de tango. Enfin, pas seulement... Et c'est bien là son originalité. Tout au long de ses albums, elle a fort bien réussi la fusion entre le tango ou le folklore latino et la bossa nova, le jazz, le rock ou encore le blues.

Elle est née en 1955, troisième de six sœurs, dans une ambiance familiale culturelle chaleureuse. Le père avait été acteur et chanteur avant «d'entrer en vie de famille», mais il avait communiqué à ses filles son enthousiasme pour tous les arts de la scène. Ce qui amena María Volonté à faire des études de musique, de composition, de théâtre et de chant.
Cependant dans les années 80, au tango jugé ringard les jeunes préféraient le rock (latino) et le revival folk (tout comme cela s'est passé en Europe). Elle participa donc tout naturellement à la mouvance nocturne underground de Buenos Aires, rencontrant poètes, musiciens, écrivant et interprétant ses compositions... On l'appela la musa del underground.
Mais elle n'oublia pas pour autant le tango, comme en témoigne son premier album "Tangos y otras pasiones" de 1996 ainsi que les suivants.

Dans cet album, "Portrait"*, elle chante des tangos comme "Vuelvo al sur" , "Nostalgias" avec le bandonéoniste Pascual Mamone ou encore "El último café" dont le piano de Daniel Garcia nous transporte dans ces cafés cossus et un peu rétros où il fait bon passer un après-midi pluvieux à lire un bon livre !

D'autre part, elle interprète aussi bien la cubaine "Macorina" – un grand succès de Chavela Vargas, que le fado "Estranha forma de vida" (Amalia Rodriguez) ou la vidala chilienne de Violeta Parra "Que se he sacado con quererte" ou, encore de la même, "Gracias a la vida" accompagné par l'harmoniciste californien Kevin Carrel Footer. Enfin cet album reprend trois de ses compositions, "9 vidas" de sonorité rock, "Parte del juego" , chanson d'amour où elle s'accompagne à la guitare et "Condename a callar", enregistré en public.

La musique et la voix de María Volonté sont tour à tour intenses, apaisantes, vives, émouvantes et nostalgiques.
Son large répertoire nous emmène en balade autour du tango et au travers de rythmes latinos, avec sa propre interprétation, qu'elle appelle World Tango Fusion.
Et tout cela, confortablement installé dans son fauteuil... ou au Café Tortini de Buenos Aires où elle a chanté chaque jeudi durant une quinzaine d'années...

Ce disque est plus à écouter qu'à danser...

On peut dire qu'une fois de plus Network Medien a eu du flair !
A quand une distribution de ses disques en Europe et une tournée passant par la Belgique ?

15 décembre 2011